RDC: «L'UDPS au pouvoir est le résultat d'une longue lutte»

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Invité Afrique

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On l'appelle « la fille aînée de l'opposition congolaise ». Il y a quarante ans, jour pour jour, est née l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le premier parti qui a combattu courageusement la dictature de Mobutu. Longtemps, l'UDPS a été incarnée par son « lider maximo », Étienne Tshisekedi, l'éternel opposant. Mais aujourd'hui, avec Félix Tshisekedi, le fils du patriarche, l'UDPS est au pouvoir. Peut-on arriver aux affaires sans perdre son âme ? Fred Bauma est le secrétaire exécutif d'Ebuteli, l'Institut de recherche congolais sur la politique et la violence. En ligne de Kinshasa, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. RFI: L’arrivée au pouvoir de l’UDPS, est-ce un accident de l’histoire ou le couronnement d’une longue marche ? Fred Bauma: On va dire que c’est les deux. D’une part l’UDPS est arrivée dans des circonstances comme on le sait qui sont plus ou moins contraires à sa lutte pour la démocratisation, elle est arrivée au pouvoir à l’issue d’une des élections les plus controversées de l’histoire de la RDC, mais l’UDPS depuis sa création a porté le combat de la démocratisation au centre de son action, d’abord comme un mouvement informel au début, qui a poussé et mis la pression sur le président Mobutu à l’époque jusqu’à ouvrir l’espace politique, on se rappelle du rôle de l’UDPS au cours de la conférence nationale souveraine de 1990, et plus tard aussi dans les élections de 2011 et ensuite dans la contestation entre 2015 et 2018. Donc la présence de l’UDPS aujourd’hui au pouvoir, c’est réellement le résultat d’une longue lutte qui a eu des incidents de parcours mais qui doit être félicitée et applaudie. En janvier 2019, après cet accord secret avec Joseph Kabila qui l’a propulsé à la présidence, beaucoup ont pensé que Félix Tshisekedi se ferait manger tout cru par l’ancien président et ses fidèles dans l’armée et les assemblées. Pourquoi est-ce le contraire qui est arrivé deux ans plus tard ? Il y a plusieurs raisons, la première c’est que, comme le président de la République est plus ou moins un personnage central dans le système congolais en ce moment, c’était prévisible que certaines fidélités pourraient migrer vers celui qui est perçu comme ayant le pouvoir. D’autre part, il faut dire qu’il n’y avait pas de cohésion idéologique autour de Joseph Kabila, il y avait une série d’alliances, parfois contre-nature, qui avaient pour dénominateur commun l’idée d’accéder au pouvoir et de le préserver, et dès lors que Kabila n’avait pas de pouvoir, il y avait la possibilité de pouvoir « shifter » ces allégeances-là. La troisième raison c’est aussi que Félix Tshisekedi n’est pas son père, il a ses méthodes qui impliquent parfois une certaine patience et une certaine stratégie, et je pense que ça a porté des résultats. Est-ce à dire que l’une des forces de Félix Tshisekedi a été d’avoir derrière lui ces trois dernières années un parti qui avait une cohérence idéologique ? Une des forces de Félix Tshisekedi aura été, je pense, d’avoir un parti qui a une base populaire à Kinshasa au moins, et dans une partie du Kasaï, et ça on l’a vu par exemple face à la coalition de Joseph Kabila, on a vu que le parti pouvait mobiliser. Je pense que lorsqu’on parle avec la base de l’UDPS, on sent encore beaucoup de références à la vision d’Etienne Tshisekedi, à la place que le peuple doit occuper dans cette vision, on parle souvent de pyramide inversée pour décrire la dynamique de pouvoir. Le peuple d’abord… Le peuple d’abord. Par contre lorsqu’on voit l’élite qui représente l’UDPS aujourd’hui dans certaines institutions, certains d’entre eux ne semblent pas forcément porter le même repère idéologique qu’Etienne Tshisekedi. Il y a un an, les évêques catholiques de la CENCO ont appelé le pouvoir à tout mettre en œuvre pour gagner le pari d’élections transparentes en 2023, et pas plus tard, est-ce qu’on risque d’aller vers un glissement comme au temps de Joseph Kabila ? C’est un risque réel. La première raison c’est qu’on est déjà en retard par rapport au calendrier de l’adoption de certaines lois, la session de mars est très attendue pour cela. L’autre contrainte réelle, c’est les financements, les élections au Congo sont très couteuses, maintenant il faut dire que s’il y a glissement, ce qui est fort probable, ça risque de nous conduire dans des tensions comme on l’a vu à la veille des élections passées, et c’est quelque chose qu’il vaudrait mieux éviter. Ça serait un reniement au regard de tous les idéaux pour lesquels Etienne Tshisekedi a participé à la création de l’UDPS il y a 40 ans ? Ça serait, je dirais, une façon de continuer à renier ses idéaux. L’UDPS a été conçue sur les bases d’une social-démocratie qui mettait le peuple au centre, comme le président de la République actuelle l’a dit plusieurs fois, mais retarder les élections de 2023 après être arrivé au pouvoir à l’issue des élections bâclées de 2018, ce serait un reniement de la vision et de l’idéologie d’Etienne Tshisekedi.