Mateusz Morawiecki, la nouvelle bête noire de Bruxelles

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Européen de la semaine

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À son arrivée au poste de Premier ministre, il y a quatre ans, il était considéré comme un modéré, un partisan de l'ouverture au monde et à l'Europe. Mais aujourd'hui, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki apparaît comme l'un des champions en Europe du camp souverainiste, et comme le partisan d'une ligne dure face à Bruxelles.    L'image a marqué les esprits : celle du dirigeant polonais s'adressant, le 19 octobre dernier, aux députés européens à Strasbourg. Ce jour-là, Mateusz Morawiecki met en garde ses interlocuteurs et dénonce ce qu'il qualifie de « chantage » exercé par l'Europe contre la Pologne.  « La plus haute loi de la République de Pologne est sa Constitution, elle est au dessus de toute autre loi, lance le dirigeant polonais aux députés européens. Je rejette les menaces contre la Pologne. Nous respectons la loi européenne et nous ne nous laisserons pas intimider. »  La confrontation entre Varsovie et Bruxelles trouve son origine dans la réforme du système judicaire polonais qui met à mal l'indépendance des magistrats. Sommé de rendre des comptes, Mateusz Morawiecki se montre intraitable. Une posture qui tranche avec l’image de dirigeant modéré, favorable à l'Europe, qui l’avait accompagné, il y a quatre ans, à ses débuts à la tête du gouvernement polonais.  « Il était considéré comme un technocrate, comme un manager, qui était plutôt favorable à l’intégration de la Pologne, souligne Judy Dempsey, spécialiste Europe de l’Est au Centre Carnegie. Et à l’époque, on imaginait qu’il allait donner un peu plus de crédibilité au gouvernement polonais à l’intérieur de l’Union européenne. Mais il est naïf et un peu arrogant de penser : "Puisqu’il parle anglais, et qu’il a étudié à l’étranger, c’est l’un des nôtres !" En définitive, Morawiecki est le Premier ministre de Pologne ! Et ce qui compte à ses yeux c’est la Pologne, pas ce que les autres pensent de lui à l’extérieur. »  Compétences managériales Aujourd’hui âgé de 53 ans, Mateusz Morawiecki est entré tardivement en politique. Jusqu’en 2015, c’est dans les milieux financiers qu’il évolue : dirigeant de la filiale polonaise de la banque Santander, il en fait l’une des plus puissantes du pays. Et ce sont ses compétences économiques et managériales qui lui ouvrent les portes du pouvoir. « Il a fait sa première tentative pour entrer en politique avec Donald Tusk, le Premier ministre de centre-droit, à l’époque où celui-ci dirigeait le pays, rappelle Wojciech Przybylski du centre de réflexion Visegrad Insight. Et donc, on a cru que c’était un modéré ! Mais finalement, c'est Jaroslav Kaczynski, le dirigeant conservateur et nationaliste du parti au pouvoir aujourd’hui qui lui a donné sa chance. En tant que Premier ministre, il s’est montré très efficace : un peu comme le PDG d’une entreprise qui s'adapte à ce que veulent ses actionnaires. Et dans ce cas précis, il se trouve que ses actionnaires sont d’extrême-droite ! »  Un million d’euros par jour   Pour contraindre la Pologne à respecter ses engagements, l’Europe a choisi de la frapper au portefeuille. Plus de trente milliards d’euros d’aide ont été gelées dans l’attente d’une sortie de crise. Et le 27 octobre dernier, la Cour de justice européenne a condamné la Pologne à une astreinte d’un million d’euros par jour. Pour Wojciech Przybylski, cette pression financière pourrait faire vaciller les autorités polonaises, car elle fragilise leur assise politique. « Le noyau central du parti au pouvoir Droit et Justice approuve la politique de confrontation avec l’Europe, estime l’analyste polonais. Mais il y a un nombre croissant de personnes qui s’inquiètent des conséquences économiques de cette posture. Ces gens se disent que cela pourrait entraîner de l’instabilité et surtout que cela risque de mettre en péril les financements européens. Ce sont des pragmatiques ; à leurs yeux, le gouvernement peut dire ce qu’il veut, mais il doit assurer sur l’essentiel : les investissements, les services, la prospérité. »  Ligne rouge  Dans le bras de fer avec Bruxelles, un élément nouveau apparaît au cœur de l’automne : la crise suscitée par l’arrivée de milliers de migrants à la frontière avec la Biélorussie. Mateusz Morawiecki refuse l’intervention de Frontex, l’agence européenne chargée de surveiller les frontières, et préfère envoyer plus de 10 000 soldats sur la zone frontière, qu’il interdit aux journalistes et aux ONG. Pour Judy Dempsey, du Centre Carnegie, cette politique de fermeté pourrait donner une nouvelle vigueur au parti au pouvoir à Varsovie. « La crise à la frontière a renforcé Droit et Justice à un moment où il était en train de baisser dans les sondages. Les gens ont été très choqués par la mort d’une jeune femme à laquelle les médecins avaient refusé un avortement. Ce drame avait donné un nouvel élan à l’opposition. Mais, avec ce qui se passe à la frontière biélorusse, le point de vue nationaliste et conservateur a retrouvé de la vigueur – même s’il y a des critiques au sein de l’opposition et parmi les ONG. Il est clair que le parti au pouvoir va essayer de garder ce problème en haut de l’agenda pour gêner l’opposition et tous ceux qui espèrent un changement de gouvernement. »  Malgré ses prises de positions inflexibles, il est une ligne rouge que Mateusz Morawiecki ne franchira jamais : celle d’une sortie de l’Union européenne. L’ancien banquier devenu l’artisan d’une politique ultra conservatrice sait qu’une très large majorité de Polonais – près de 70% – reste attachée à l’idée européenne.