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De violents affrontements armés ont eu lieu ce jeudi 14 octobre dans le quartier de Tayouneh, dans la banlieue sud de Beyrouth, en marge d’une manifestation de sympathisants des partis chiites Amal et du Hezbollah. Des affrontements qui ont fait six morts et des dizaines de blessés. Les manifestants réclamaient le limogeage du juge Tarek Bitar. Comment expliquer cette montée des tensions autour du juge et de son enquête sur l’explosion dans le port de Beyrouth ? Visiblement le juge Bitar a bien du mal à mener sereinement l’enquête sur les responsabilités dans ce drame national que représente l’explosion le 4 août 2020 au port de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts et des milliers de blessés. Un premier juge a jeté l’éponge au mois de février. Tarek Bitar, un magistrat de 46 ans, a une réputation d’intégrité et de compétence. Lui a décidé de rechercher les responsables de la catastrophe de l’été dernier. Une de ses pistes de recherche, c’est de savoir comment près de 2 800 tonnes de nitrate d’ammonium ont pu être stockées pendant des années dans le port, alors que les responsables politiques étaient au courant, non seulement de la présence de ces produits chimiques, mais aussi et surtout de leur dangerosité. Alors, savaient-ils et n’ont-ils rien fait, soit par coupable négligence, soit pour protéger des personnes ou des intérêts libanais ou étrangers ? Pour avancer dans sa quête de vérité, le juge Bitar n’a pas hésité à convoquer d’anciens responsables des services de sécurité, et d’anciens ministres en poste à l’époque des faits ou auparavant. Et c’est là que les choses ont commencé à se gâter – car dans leur grande majorité, ces anciens ministres, aujourd’hui députés, appartiennent aux deux partis chiites, Amal et le Hezbollah. Très vite, le leader du Hezbollah Hassan Nasrallah a été très clair et s’en est pris directement au juge, l’accusant d’être partial et politisé contre la communauté chiite, pour ménager les sunnites et surtout les chrétiens. Tarek Bitar a également reçu des menaces de mort. Terrible logique confessionnelle qui empêche le Liban d’avancer, qui a réussi pour l’instant à venir à bout des velléités très fortes de changement, exprimées il y a deux ans lors des manifestations de dizaines de milliers de Libanais. Une stratégie du Hezbollah, redoutable : la peur Ce mouvement, très proche de l'Iran et aidé par ce pays, fait passer ce message : « Si vous voulez la justice, vous aurez la guerre ». D’où la manifestation de ce jeudi, nouveau type de pression pour contraindre la classe politique à se débarrasser d’un juge trop curieux. Manifestation qui a dégénéré en affrontements violents et meurtriers, sans que l’on sache pour l’heure qui a tiré sur qui en premier lieu. Les chiites accusent les Forces libanaises chrétiennes de Samir Geagea, ce dernier dément et demande une véritable enquête. En début de semaine, une réunion très houleuse du gouvernement avait également tourné autour du juge. Un dossier désormais politique qui menace de faire imploser la fragile coalition gouvernementale entre chiites, sunnites et chrétiens. Les chiites réclament le dessaisissement du magistrat. Les sunnites et surtout les chrétiens défendent le principe de la séparation des pouvoirs. Par ailleurs, des plaintes déposées contre Tarek Bitar par les députés qu’il voulait convoquer ont été jugées irrecevables par la Cour de cassation. Le juge peut donc en principe poursuivre son enquête – sauf que le Parlement reprend ses sessions mardi prochain 19 octobre et que, dès lors, ces personnalités seront protégées par leur immunité. Bref, c’est l’impasse, la tension. Ce régime, contesté par sa propre population, ne veut ou ne peut pas se réformer. Et c’est pourquoi il utilise à nouveau la peur, pour effrayer et faire taire celles et ceux qui veulent que cela change enfin au pays du Cèdre.