Arts
Mission encre noire Tome 32 Chapitre 363. Sadie X de Clara Dupuis-Morency paru en septembre 2021 aux éditions Héliotrope. Nous entamons cette nouvelle saison 2021 en compagnie de Clara Dupuis-Morency dont le premier livre, Mère d’invention (2018), a été finaliste du Prix des libraires. Sadie est chercheure dans un laboratoire de Marseille. La rencontre avec le professeur Régnier lui permet de découvrir le monde du minuscule, les virus. Quand il découvre un nouveau spécimen de virus géant, quelque chose qui ne ressemble à rien ailleurs dans le monde, Règnier le déclare forcément monstrueux. Il le nomme Pandoravirus. Assidue sur ses microscope le jour, elle se vide le corps et l'esprit au Scum, le bar de Veronica, au son des playlistes de Molly. Or cette forme qui jaillit de nulle-part, jette un clair-obscur sur la vie elle-même de Sadie, qui n’est pas sans conséquences. Elle se laisse contaminer par l’idée du désapprentissage, à comprendre comme l’unique moyen envisageable pour aborder ce qui échappe à la compréhension humaine. Quand le hasard de la Science fusionne avec la vie intime, un cocktail qui ébranle nos convictions en résulte. Miroir du mythe de la Belle & la Bête ? Je vous propose de nous pencher au-dessus du microscope tendu par l’autrice, ce soir, à Mission encre noire, j’accueille Clara Dupuis-Morency. Extrait:« Chaque fois, c’est la même chose, elle se donne un mal de dos terrible à rester penchée des heures sur le spectacle de la métamorphose, tendue, toute, vers l’inattendu. Elle pourrait bien s’épargner les vertèbres, contempler le processus sur l’écran de l’ordinateur, qui relaie sagement l’image, mais elle n’y peut rien, ça fait partie de son rituel. Prendre part au cycle d’infection d’un nouveau virus, c’est comme assister à la naissance d’un enfant, sans le malaise qui s’ensuit, de savoir qu’on a mis un autre être humain au monde. Chaque fois, elle ressort de ça dans un état misérable, incapable de se déplier, recroquevillée comme une vieille avec une mauvaise scoliose, il n’est pas rare qu’elle doive prendre une canne pour marcher pendant des jours, après, c’est comme si elle était restée là des années, à se ratatiner la colonne, comme si la tension concentrée Dupuis-Morency.Sadie X.final 2.indd 174 2021-06-24 23:34 175 par l’excitation lui avait coûté des décennies de bonne santé. Et c’est peut-être ce qui se passe, en réalité, elle vit au rythme accéléré du virus, qui complète un cycle de vie toutes les douze heures en moyenne, parce que c’est bien un cycle de vie, qui se déplie alors sous ses yeux. C’est à la vie du virus qu’elle prend part, comme observatrice émerveillée. Et cette vie ne se réduit pas à la boîte visible du virus. Le virus est l’ensemble des phénomènes qui se produisent dans l’infection. Le virus n’est pas la bombe, c’est l’explosion de vie qui éclate les limites de l’individuel. Dans cette transformation, la vie infectieuse transforme les notions dont Sadie a hérité pour cerner le phénomène du vivant. Le virus n’est pas la boîte.» Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok de Michelle Lapierre-Dallaire paru en 2021 aux éditions La mèche. À l’annonce du suicide de sa mère, la narratrice snappe. Elle a 27 ans. La veille des funérailles, alors qu’elle dort dans son ancienne chambre, elle entend sa voix à elle qui se confond avec celle de sa mère. La douleur est telle, insidieusement, elle glisse vers un point de non retour. Le corps se déconnecte de la conscience. Les émotions qui la submergent peuvent l’avaler, à tout moment, toute entière, dans un dernier trip, à tout détruire sur son passage. Elle, inclue. Michelle Lapierre-Dallaire écrit comme on brûle un certificat de naissance pour décrire sur la maladie mentale. Un témoignage livré à fleur de peau, le corps transpercé par les agressions multiples qu’on lui fait subir. Comme le déclare l’autrice, il fallait sacrifier quelqu’un pour écrire ces histoires, pour les faire lire à des gens qui ne souhaitent jamais les vivre. On comprend assez vite que le cadre du livre ne suffit pas. Il n’empêche que L’autrice maîtrise sa verve comme sa rage de vivre comme jamais, dans ce premier roman. Comment l’autrice a-t-elle relevé ce défi? comment faire rentrer un témoignage aussi puissant sur la maladie mentale, les violences sexuelles et familiales et les relations amoureuses dans le format d’un livre? J’accueille Michelle Lapierre-Dallaire, ce soir, à Mission encre noire. Extrait:« Le monde qui parle trop fort au restaurant me donne envie de prendre la vaisselle, de la faire xploser par terre. de me mettre à raconter en criant et en riant trop fort la fois où je me suis fait pisser dessus par un homme marié dans un motel. Quand les gens font du bruit, je ne tolère pas d,en faire moins qu'eux. je veux que mon bruit à moi soit plus fort que celui des autres, que mon chaos sonore envahisse l'espace tout entier. C'est moi la plus bruyante, c'est moi qui provoque les plus belles cacophonies. Je pleure fort, je ris fort, je parle fort. Je ne suis pas heureuse, j'exulte. Je ne suis pas triste, j'agonise. Tout m'apparaît comme un bon prétexte pour casser le silence ambiant. Je n,aime pas le silence parce que j'ai peur de m'entendre vivre. Quand je surprends un de mes propres battements de coeur, j'angoisse à propos de ce corps amour-haine qui abrite un torrent. Mon corps, c'est mon seul barrage contre moi-même. Même s'il est peu fiable, c'est le seul. C'est pour ça que j'offre toujours à tout le monde de baiser. C'est la seule façon que j'ai trouvé de communiquer sans déchirer l'intérieur de l'autre, sans l'anéantir. Je partage mon barrage pour éviter de décharger mes déferlantes. Mais je ne partage rien à moitié. En fait, je partage tellement que je donne tout ; il ne reste jamais rien pour moi. Je prends mes petits restes et je me refais un corps constellé de fissures, de trous noirs. Chaque fois, c'est un peu plus risqué. Mais, comme disait ma mère, quand tu penses que t'es pu capable, t'es capable encore.»